Maître de l'underground et du fétichisme new-yorkais, le réalisateur et photographe Richard Kern a signé dans les années 80 des petits films indépendants qui ressemblaient à du John Waters sans l'humour. La ressemblance provient d'une envie commune d’utiliser le mauvais goût. La différence, c'est que Kern l'utilise à des fins plus politiques. Depuis ses débuts, il veut transformer les perversions en tendances glamours, célébrer l’anormalité pour provoquer les bonnes mœurs et rendre compte d’un malaise abyssal. En somme, exposer les fêlures d’un tonton Sam sagement rangé dans son image policée. Dans les années 80, l'artiste a proposé une alternative roborative dans un système Hollywoodien longtemps avant Bruce LaBruce, Nico B & Rozz Williams et Harmony Korine. Ceux qui aiment le groupe Sonic Youth – pour lequel il a réalisé des clips – ne doivent pas se priver de découvrir son travail cinématographique. La bonne nouvelle, c'est que cette collection de films est désormais disponible en zone 2.
Ce n'est qu'en 1983 que l'autodidacte Richard Kern commence sa carrière cinématographique, sous l’impulsion de Nick Zedd, un proche collaborateur qui avait déjà réalisé quelques essais remarqués (on lui doit The Bogus man, en 80). Avec seulement 5 dollars, il achète une caméra Super-8 et démarre en filmant ses amis face caméra qui blablatent pendant des heures. Kern diffuse ces expérimentations riches en personnalités (Lydia Lunch, Lung Leg, Cassandra Stark, Sonic Youth, Tommy Turner) pendant des concerts et des « acid parties ». De là découle un nouveau mouvement : le « Cinéma de la Transgression ». Un mouvement dont se revendique un certain Bruce LaBruce (No skin off my ass). Dans les films de Kern confusément tournés en super 8, 16mm et vidéo, à mi-chemin entre le porno et le gore, les personnages se shootent, se percent, s’entaillent, se cognent, violent, assassinent, « sadisent », « masochisent » et baisent pour de vrai. Ce sont les mutants provocants de l’Amérique Reaganienne. Lydia Lunch, qui deviendra sa muse, l’accompagne dans l’aventure ; Henri Rollins, son pote, aussi. Tous les deux en tant qu'acteurs. Ensemble, ils essayent de créer de nouvelles positions cinématographiques et veulent ostensiblement repousser des limites. Jim Thirlwell se charge de faire monter la pression avec une bande-son lancinante qui deviendra un élément clé dans l’univers de Kern.
Le but premier est de tester les résistances du spectateur comme à la bonne époque de Warhol à travers des provocations bien senties (demoiselle qui fait un strip-tease, s’arrache un œil et s’enfonce un couteau dans le ventre). De peur d’affronter l’hostilité du public, Kern conserve précieusement ses films et ne les diffuse qu’à ses amis proches. Jusqu’à ce qu’il se décide à franchir le cap. Dans la liste, on découvre The Manhattan Love Suicides qui se présente comme une série de quatre courts-métrages insolites sur la mort (Stray Dogs, Woman At The Wheel, Thrust In Me et I Hate You Now). The Right Side of my Brain qui brosse le portrait d’une schizophrène. You Killed Me First qui casse la représentation de la cellule familiale aimante à travers un repas familial tournant vinaigre. Submit to me now qui montre des performers jouant au sadomasochisme. De cette collection, Fingered est sans doute son film le plus connu. C’est aussi celui qui a soulevé le plus de problèmes. A chaque diffusion publique de l’objet – que Lydia Lunch ne trouvait pas assez violent –, Kern a reçu des quolibets en se faisant maltraiter par des spectateurs furax. Les imperfections formelles (faux raccords et plans approximatifs), inhérents à ce cinéma, sont érigés en idéal de cinéma.
Mais cette période de bouillonnement créatif fut extrêmement courte. Elle ne s’étend que jusqu’en 1987. Année où Kern oublie ses velléités de cinéaste punk, se barre à San Francisco pour y traîner entre désir d’échapper à soi-même et fréquentation de petites frappes. Un an d’autodestruction plus tard, il revient à New York, essaye de se racheter une conduite, reprend la photographie en alternant avec un boulot alimentaire et contribue au lancement d’un nouveau genre : le porno chic. Film Threat Video a rassemblé tous les courts métrages de Kern pour les distribuer dans le monde entier. C’est grâce à ces travaux qu’il a pu s’attirer les faveurs d’artistes aussi divers qu’Asia Argento ou Vincent Gallo qui ont tous les deux posés pour lui. Ou encore réaliser des clips pour Marilyn Manson (le clip Lunchbox) ou le groupe Sonic Youth avec lequel il a commencé dans les années 80. La boucle artistique est joliment bouclée. Aujourd’hui, il expose dans les galeries New-Yorkaises et ses travaux font le tour du monde de Tokyo à Paris. Ses films sont regroupés sous l’appellation « HardCore » (rien à voir avec Paul Schrader), dispo en zone 2 chez le courageux éditeur Le chat qui fume.
LES COUILLES SUR LA TABLE. 2 podcasts avec Virginie Despentes
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Il y a 2 ans
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